Attendre est un savoir

Publié le Catégorisé comme changer de vie
salle d'attente
"Hospital Waiting" by Direct Media/ CC0 1.0

« Je n’aime pas attendre ». Phrase souvent entendue. Torture des impatients, l’attente peut pourtant se cultiver comme la patience du jardinier et s’avérer plutôt douce. J’ai encore de l’impatience, je le sais. Peut-on investir les moments d’attente en leur donnant une saveur poétique ? En se reliant au présent, en s’y installant…

Tant d’attentes et pourtant toutes un point commun

Le rendez-vous. Celui du médecin qui pense qu’imposer à sa patientèle une attente élastique augmente sa réputation d’expert recherché… Ou bien, mon garagiste qui sut me rendre content, réduisant le délai d’attente prévu pour me rendre la voiture… Les deux mesurent leur pouvoir sur moi.

D’ailleurs, j’ai veillé à ne pas courir lorsque mon garagiste me dit que « ma voiture était déjà prête ». Déjà ? mais le travail a-t-il été fait en prenant le temps de la précision ?

Ou bien, ces amis que j’attends. Ils sont sur la route, un temps est estimé, mais la crainte des embouteillages ne permet pas d’annoncer une heure précise…

Ou ce « contrat » : « tu me diras quand tu seras arrivé, j’attends ton appel ». Un rien toxique s’il y a oubli.

Ces livreurs aux promesses plus ou moins tenues. Des applications numériques fournies par leurs sociétés permettent même de pister certains, littéralement. J’avais repéré le restaurant où l’un d’entre eux avait fait sa pause, à 500 mètres de chez moi qui l’attendait, impatient et bloqué… Je me suis retrouvé à le juger : « il aurait pu me livrer avant d’aller déjeuner, c’est à 5 minutes« … ou à mesurer son temps de pause. Les machines numériques non contentes de nous espionner activent le délateur en nous !

L’attente d’une réponse, d’un courrier, le délai qu’il faudra. Le train qu’on attend et la litanie des retards.

Toutes ces attentes ont un chant commun, le point d’incertitude. On peut choisir de se torturer avec ou lâcher prise.

Derrière l’attente « normale », ce moment de flou, on ne sait pas… on guette à la fenêtre, on regarde le téléphone, on vérifie, on regarde l’horloge et derrière, selon la situation, selon nos émotions, selon qui nous attendons ou ce que nous attendons, l’attente nous met en scène et nous désigne dans notre vulnérabilité.

Elle attend un enfant.

Nous sommes des enfants lorsque nous sommes incapables d’attendre.

« Tout vient à point qui sait attendre ». La maxime est connue.

Il est là, mais il ne vient pas ou alors ce sera beaucoup plus tôt que prévu…

Je me souviens d’avoir entendu de jeunes récitants trahir Corneille en transformant l’atteinte en attente :

Monologue de Don Rodrigue dans le Cid de Corneille (Acte I, scène 6)
Don Rodrigue
Percé jusques au fond du cœur
D’une atte(i)nte imprévue aussi bien que mortelle...
des enfants qui attendent
« Line waiting to see the dentists » by U.S. Navy Medicine/ CC0 1.0

Habiter l’attente

Il est des attentes inconfortables. Attendre aux urgences, attendre debout son dentiste, attendre même parfois dans la file serrée du supermarché. On est captif, presque impossible de faire autre chose…

À moins de penser…

Penser à ceux qu’on aime, ce qu’on fera demain, penser à la personne attendue, penser en s’extrayant alors de la contrainte. Rêver de liberté.

Les avions à l’approche des aéroports ont un circuit d’attente dans le ciel. Il existe même une théorie mathématique des files d’attente.

Du relief aux petites choses

On peut aller chercher dans les petites choses de quoi observer, questionner, qui sait, tisser du lien…

Le détail d’une araignée qui a su s’installer discrète dans la salle d’attente du dentiste, le regard intense d’une enfant ou celui là qui va se lancer soudain et prendre la parole…

La salle d’attente

L’attente est si importante qu’on prévoit pour nous des salles : à la gare, à la sécurité sociale ou à la préfecture avec des numéros qui s’affichent.

Salles où l’on est « anonymes » , salles où l’on retrouve un voisin, un ami d’enfance. La salle d’attente peine à dissimuler ce que l’on vient faire chez le gynécologue, aux pompes funèbres, devant le bureau de la conseillère d’éducation.

Le numérique est censé réduire ces attentes : on précommande, on paye à distance… mais certains services sont saturés.

Salles d’attentes qui vous alignent, vous numérotent ou vous oublient. Sonnettes, rituels, signatures.

Chez-nous, nous choisissons un lieu pour ne pas manquer le livreur.

S’occuper ?

L’occupation est souvent un subterfuge, une mise en scène, une façon de banaliser l’affaire.

Du bouts des yeux je lis un magazine stupide, mais je ne suis pas tout entier à cette lecture, je guette mille indices autour dont je fais une histoire…

Chez le dentiste : qui sort du cabinet, les échanges au secrétariat, un livreur qui passe, ce que disent les meubles ou la décoration…

Le moindre objet banal peut prendre de l’importance.

Un bruit, le grincement d’une porte, une température trop élevée ou trop basse, une odeur…

À la maison même, c’est dans l’attente que je découvre le détail qui tue : un reflet disgracieux sur la vitre, un point noir au visage, un faux pli, une poussière…

Et si je peux m’y attaquer tel Don Quichotte, il faut toutefois prendre le temps, ne pas aller trop vite, sinon le temps ne va pas passer…

Ou alors écrire, écrire et investir ce temps, y entrer pleinement. Écrire me permet plus aisément d’attendre que lire…

Se torturer ?

Attente amoureuse d’Éluard : « Le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin…

Ou mon chien qui peut attendre tendu derrière la porte… ou va combler son attente… en vidant la gamelle de la chatte…

Me revient ce poème de Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) :

Quand je ne te vois pas, le temps m'accable, et l'heure
A je ne sais quel poids impossible à porter.
Je sens languir mon cœur, qui cherche à me quitter,
Et ma tête se penche, et je souffre et je pleure.

Quand ta voix saisissante atteint mon souvenir,
Je tressaille, j'écoute... et j'espère immobile ;
Et l'on dirait que Dieu touche un roseau débile ;
Et moi, tout moi répond : Dieu ! faites-le venir !

Quand sur tes traits charmants j'arrête ma pensée,
Tous mes traits sont empreints de crainte et de bonheur ;
J'ai froid dans mes cheveux ; ma vie est oppressée,
Et ton nom, tout à coup, s'échappe de mon cœur.

Quand c'est toi-même, enfin ! quand j'ai cessé d'attendre,
Tremblante, je me sauve en te tendant les bras :
Je n'ose te parler, et j'ai peur de t'entendre ;
Mais tu cherches mon âme, et toi seul l'obtiendras !

Suis-je une sœur tardive à tes vœux accordée ?
Es-tu l'ombre promise à mes timides pas ?
Mais je me sens frémir : moi, ta sœur ! quelle idée !
Toi, mon frère !... ô terreur ! Dis que tu ne l'es pas !

La promesse

« Je ne l’attends plus, elle – il ne viendra plus »… Il vient un moment où l’on se délivre soi même d’une attente impossible. On reste avec une sorte de ressentiment. « J’ai attendu pour rien ». Temps perdu ? Pas si sûr. J’ai attendu pour cette sensation…

Certes, la dépendance est désagréable si l’on ne s’offre pas dans l’attente des chemins de traverse, ces rêveries, ces escapades immobiles… mais la délivrance soit par l’absence qui nous rend à nous même, soit par la « récompense » de l’arrivée ou des retrouvailles fera que notre cerveau en concevra de la joie…

Une amie me disait son goût de l’attente de la livraison. Un état spécial. Il doit bien se passer des choses au niveau du cerveau. C’est bien ce qui fait le succès des livreurs; Souvent nous préférons attendre chez nous dans une sorte d’incertitude bizarre que d’aller à la boutique voisine ou au restaurant d’à côté…

Adolescent, je me souviens de ce frisson quand attendant le manuel commandé chez le libraire, on risquait les réprimandes du professeur. Nous attendions parfois trois semaines à la campagne… « Non je ne l’ai toujours pas reçu ». Nous existions alors dans l’impatience du prof mais nous étions délestés de la responsabilité. L’attente obligeait à faire autre chose puisque nous n’avions pas le manuel prévu…

Anne Sylvestre !

Et soudainement me revient la merveilleuse chanson.

J'attends
Imperturbablement, j'attends
C'est une tâche à temps complet
Me dérangez pas, s'il vous plaît
J'ai besoin de toutes mes forces
À ce règlement, pas d'entorse
Il faut y donner tout son temps
Ne dites rien, c'est important
J'attends
©Anne Sylvestre – paroles et musique via You Tube

Elle dit tout et si bien (une fois de plus) de cette ambivalence de l’attente.

Mais quelles sont vos attentes ?
« What did you expect ? » Godot peut-être…

C’est parce que j’attends des amis que j’ai écris cet article…

Oui, savoir attendre, en s’allongeant dans la parenthèse, en y prenant ses aises, en écoutant, en distordant le temps jusqu’à ce que la rupture de l’attente vous fasse dire : « déjà ?« 

Plutôt qu’enfin…

Par Vincent Breton

J'ai passé plus de quarante ans à exercer plusieurs métiers au sein de l'Éducation nationale. Toujours mû par la curiosité, j'aime apprendre, écrire, partager.

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