La part intime du déménagement

Publié le Catégorisé comme changer de vie
déménager
"Woman moving plastic sack in truck"/ CC0 1.0

J’ai l’habitude. Ce sera depuis que je suis né la vingt-quatrième fois que je change de maison. Un déménagement reste chargé d’affectif. C’est un moment réputé pour sa charge en stress.

Mais au-delà de l’inquiétude ou de l’impatience, des démarches, des listes de choses à penser et faire, il y a ce regard sur les objets qui vous accompagnent, les lieux où l’on vivait, les personnes du lieu que l’on va quitter.

Les distants d’hier font des confidences chaleureuses

Parmi ceux qui savent que je pars bientôt, au-delà des formules de politesse ou de celles et ceux qui comprennent mal pourquoi je quitte un lieu si agréable, j’entends des déclarations étonnantes ou touchantes.

Certains qui soudain osent une marque d’amitié. Nous avions donc des affinités ? Peut-être au travers du départ annoncé, un arrière-goût de deuil à faire… il est probable que nous ne nous verrons plus dans la majorité des cas compte tenu de la distance… (partir c’est mourir un peu…)
Des compliments sont formulés. Je préfère les entendre de mon vivant. Mais je ne pars pas pour que l’on me regrette.

Non, je n’oublierai pas. Bien sûr, il n’y aura pas eu ici que de mauvais souvenirs…

D’autres confidences sont touchantes. Celles de personnes qui aimeraient partir, qui m’envient même, mais qui n’osent pas.

Il faut payer une maison, garder un travail. La peur de ne pas en trouver un nouveau domine sur le goût de l’aventure. Il faut rester proche d’une vieille mère ou de ses enfants ou le mari ne serait pas d’accord. Sont-ils donc tous emprisonnés ?

D’autres auraient seulement peur d’arriver en terre inconnue. Ils s’étonnent. Non, je ne connais pratiquement personne là-bas. Justement, la part de motivation est dans l’exploration à mener des lieux et des personnes.

En Bretagne, les jeunes eux-mêmes, sont rétifs à trop s’éloigner. C’est la limite de leur réussite scolaire. Ils n’osent pas faire des études au loin. Franchir la frontière des quatre départements semble difficile pour certains…

La maison et les lieux que l’on va quitter

Le simple fait de savoir que je vais bientôt quitter les lieux me fait les regarder autrement. Je deviens passant, étranger… je regarde, je participe, je suis pourtant déjà détaché et mes pensées voguent souvent vers la future maison, le nouveau pays que j’ai choisi.

La ville quittait hier ses habits de lieu de vacances. Je voyais les derniers touristes tirer leurs valises à roulettes ou chargés de sac. Pressés de fuir pour rentrer chez eux. Dans la vieille ville, des camions se chargeaient de déménagements. Bric et broc. Objets tombés… Fin de mois. Fin de bail. J’ai plus de temps… On aurait dit un décor que l’on démonte après le spectacle.

Dans la maison, de premiers meubles sont partis, alors elle-même apparaît autrement. Elle est un peu comme une personne qui se déshabille et se montre nue aux regards indiscrets.

Qui dormira dans cette chambre ? Que feront-ils de cette pièce ? Qu’adviendra-t-il des agapanthes, des lavandes et ou de la passiflore ? Aimeront-ils l’hibiscus ?

Dans cette maison je vécus des heures pénibles, et le confinement mais aussi de douces étreintes et de jolis moments. Je pars tranquille mais cela n’aura pas été mon lieu préféré. Maison étrange, un peu surannée, atypique… comme une rencontre nécessaire mais transitoire par nature.

Je vais quitter la dernière ville où j’aurai travaillé comme salarié…

La fin d’un épisode approche…

Les objets

Certains me regardent. Ils savent que je ne les laisserai pas. D’autres, nous nous séparons parce que c’est le moment. Mais d’autres encore, je les vois bien, je les entends gémir. Ils implorent pitié. Ils ne veulent pas que je les laisse malgré l’usure. « On n’est pas si nombreux ! »

Ce vieux tapis de perse est usé. Cette malle est fragile. Et si je me suis séparé de livres finalement sans trop de souffrance, il en reste encore qui veulent me parler. Que je les relise. Petites pierres dans la mémoire.

La condition pour que je ne me sépare pas de vous, c’est que vous n’évoquiez pas des heures sombres, que votre présence ne me ramène pas dans la tristesse, dans l’inutile mélancolie du manque ou du ressassement.

Tiens, j’ai retrouvé parmi des papiers, cette puante lettre d’insultes que j’avais presque oubliée. Je l’ai déchirée avec délectation. Je ne ferai pas l’honneur à son triste auteur toxique – qui ne me connaît d’ailleurs pas- de venir polluer ma future maison avec sa médisance…

On n’oublie jamais mais les rappels morbides ou sinistres ne servent à rien qu’à vous retenir en arrière.

Quelques meubles, les livres, les disques surtout… mais en réalité, j’aurais presque pu tout laisser sans véritable regret.

La future maison sera sobre, peu chargée pour en faire un lieu de paix et de création.

C’est vrai que je serai dur avec l’objet trop abîmé, le vêtement de trop, ces bricoles idiotes qui malgré tout se sont incrustées…

Je me disais en regardant ces machins qui accompagnent toute vie domestique, que les déménageurs ont mine de rien accès à notre intimité plus sûrement et fortement qu’un psychanalyste…

Demain, je m’offrirai un de ces moments qui me procurent une vraie jouissance : une virée à la déchetterie. Pas seulement pour le bonheur d’admirer la merveilleuse logistique du lieu et le ballet des agents de la communauté de communes dans leur combinaison orange… mais pour cette joie, une fois passée la barrière, d’avoir su me délester de ces instruments du passé

le camion de déménagement

Par Vincent Breton

J'ai passé plus de quarante ans à exercer plusieurs métiers au sein de l'Éducation nationale. Toujours mû par la curiosité, j'aime apprendre, écrire, partager.

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