Les jours se succèdent. Ce n’est pas nouveau mais les catastrophes s’enchaînent, les drames, les scandales. C’est banal. C’est l’actualité du monde. À peine une nouvelle est-elle tombée même si toutes les données n’en sont pas sûres voici le flux nourri par les « commentateurs », il faut « se faire une opinion » et à notre tour nous sommes sommés de prendre position.
Ce n’est pas seulement stressant, c’est mortifère. C’est d’autant plus difficile si l’on veut garder son libre arbitre et ne pas pour autant se retirer du monde.
La sinistre hiérarchie de l’information
Aucune mort n’est supérieure à une autre, aucune mort n’est banale. La mort « naturelle » et « apaisée » attriste, d’autres morts révoltent. Ce qui est douloureux c’est de percevoir sans savoir vraiment que l’on meurt dramatiquement dans une indifférence absolue en certaines régions du monde. Ils sont loin, nous ne nous sentons pas concernés ou ne ne le saura simplement pas. Ou bien, ils meurent si près de nous et l’information passe fugitive, vite remplacée par une autre… Ne pas trop s’attarder, ne pas creuser le sujet.
L’empathie est reléguée au rang des accessoires. Certains viennent faire la leçon doctement, indifférents en réalité au sort de malheureux dont la souffrance ne doit rien au hasard ou à la fatalité.
Les uns notamment en charge des affaires font diversion en ajoutant de nouveaux objets destinés seulement à nous agiter un peu plus. Les autres se laissent piéger et tombent dans la provocation.
Le buzz, le scandale, les désordres et le maintien de l’ordre, toute cette agitation où la rationalité est mise à mal, ce commerce médiatique à courte vue ne servent qu’à différer le traitement des causes.
L’effet pandémie
Comme une guerre muette, la pandémie est venue frapper à notre porte. Elle est venue tester notre capacité à accepter des contraintes physiques et morales pour répondre à un intérêt général dont nous ne percevions pas toujours la réalité concrète.
Entre acceptabilité, rôle des uns et des autres, inquiétude sourde vis-à-vis d’un mal invisible, il reste la crainte un jour d’un autre drame : une autre pandémie, si la guerre venait à nous, si une centrale nucléaire ukrainienne sautait, si… Pour nous énerver d’autres agitent des menaces fantasmées…
Non seulement nous nous habituons à avoir peur mais encore nous tentons de « faire semblant » en attendant, comme si tout n’était qu’affaire de croyance ou d’opinion… « Tu y crois toi au réchauffement climatique ? »
Que dire à l’enfant de dix ans qui a entendu que la terre serait inhabitable dans trente ans, à cet autre qui pense que quelques aménagements suffiront ou à ce fou qui envisage déjà des installations sur Mars quand la Terre ne sera plus habitable ?
« Je trie mes déchets en attendant la mort ».
Attendre la prochaine catastrophe, la suggérer
Je me suis rendu compte l’autre jour que j’allumais la télévision le matin en m’interrogeant intérieurement : « Alors quelle nouvelle catastrophe est arrivée dans la nuit ? »
À tel point qu’un jour où un drame ne viendrait pas occuper le devant de la scène, nous en serions presque déçus. Mais « rassurons-nous », notre soif de sang sera vite comblée. Les médias trouveront vite quelque chose… quitte à minimiser ensuite. « Ce n’était pas un terroriste, juste un fou… »
Mais ne nous interrogeons pas sur cette folie née d’abord d’une absence de présence, d’attention, d’empathie à l’autre.
La perversion du système médiatique c’est sa capacité à nous embarquer, à nous rendre voyeurs, à nous donner le goût du sang tout en nous déresponsabilisant.
La mièvrerie en réponse
Sentant bien qu’une manne était possible, les journaux télévisés des grandes chaînes à treize heures, l’heure des retraités, ont pris le parti d’éluder les drames sur lesquels ils passent très vite et de s’attarder sur ces « merveilleux petits coins de France où il fait bon vivre comme autrefois ». On nourrit des nostalgies. Rares sont les présentations de projets actuels. On nourrit aussi le conformisme… Une sorte de propagande molle… Le sucre est addictif.
Les réseaux sociaux
Twitter est emblématique de la logique décrite plus haut. Facebook est plus mollasson mais diffuse tranquillement ses mensonges… Mastodon en apparence plus apaisé fonctionne en bulles closes. On n’y développe pas forcément les points de vue, c’est difficile. On se conforte souvent. C’est « moins pire » que les polémiques ouvertes mais ne nous leurrons pas sur une meilleure qualité de l’information.
Si j’ai abandonné Twitter, je retiens ma parole le plus souvent sur les réseaux…
Reprendre la main
Est-ce que c’est possible ? Comme j’essaie d’économiser l’eau, je veux d’abord réduire le flux d’informations qui me noie, me stresse ou m’attriste au delà du raisonnable. Je boycotte depuis un moment les soi-disant chaînes d’infos : la pire étant Cnews… Finalement, il ne faut pas y aller pour s’informer, mais de temps à autre, très ponctuellement pour voir l’état des échanges… C’est édifiant. Je ne tiens pas cinq minutes. Ça n’apporte rien. Mais je dois également réduire le nombre de fois où je vais écouter ou regarder l’information « généraliste »… Je ne parle pas de la presse locale qui à part reconnaître la cousine sur la photo de la fête de l’école, n’apporte pas grand chose.
Mon Grand-père était abonné au Monde autrefois. Il recevait les informations le lendemain. Il y avait toujours ce décalage au final bénéfique. Le recul était forcé. En retraite, il le lisait in extenso. J’en ai lu pas mal, mais à 14 ans, ce n’était pas évident. À cette époque, le journal bénéficiait d’une bonne réputation. On disait que l’information y était vérifiée. Les articles étaient plutôt bien écrits, argumentés… après bien entendu, on peut relativiser.
S’il est facile de limiter quantitativement le flux, il faut que je le fasse, il y a une véritable difficulté à trouver une source d’information solide. Il faut parfois croiser beaucoup de données avant d’être un peu certain. Les « experts » se contredisent eux-mêmes et ne sourcent pas toujours leurs données.
S’intéresser à l’autre
Du local au global, il me semble qu’une façon de comprendre le monde, est aussi d’aller au-devant de la réalité concrète des gens. Je parle là des personnes que je peux rencontrer au quotidien. Personne ne fait de « reportages » sur leur vie. Leur actualité est un quotidien dont les difficultés concrètes ne sont pas toujours décrites. Nous nous ignorons le plus souvent tant nos vies sont cloisonnées, même ici, dans une petite ville où je me trouve.
Il est frappant de noter que les gens du quartier « populaire » (politique de la ville) ne vont jamais en centre ville et si je traverse le dit quartier et le square attenant, cela peut susciter l’étonnement… non, je ne « cherche pas »…
Cela suppose aussi de sortir de sa zone de confort.
C’est aussi pour cela que j’aime parfois m’installer dans un nouveau lieu pour tenter de le découvrir, le comprendre et connaître les gens.
Il y a en quelque sorte, une véritable actualité du local à réinvestir.
Quand il animait il y a bien longtemps le journal d’Antenne 2, Bernard Langlois l’avait bien compris qui avait tenté ainsi d’aller à la rencontre des gens, dans leurs villes, leurs quartier…
Refuser l’urgence
Un drame survient. Ce n’est pas qu’il ne me concerne pas, mais je dois accepter l’idée de lâcher prise. Si je ne suis pas sur place, si je ne peux aider ou intervenir, le filtre de la distance doit m’aider plutôt à tenter de mieux comprendre, d’analyser les causes et d’envisager les solutions qui peuvent alors être partagées ou défendues à des niveaux divers. Le voyeurisme n’apporte rien.
Cohérence
Avec l’information, je crois que l’on peut comme pour le reste se demander, « en ai-je besoin ? Est-ce utile ? »
Oui, j’ai besoin de ne pas me sentir coupé des évènements du monde, de la vie sociale…mais il n’est pas utile que je m’assomme et suive heure par heure les développements. Je dois mettre à distance le bruit non pas pour fermer les écoutilles et ne pas savoir, mais mieux savoir…
Je veux aussi pouvoir affirmer que je ne donnerai pas mon point de vue sur tout sujet qui passe : d’abord parce que l’on doit parler si l’on a quelque chose à dire, ensuite parce que je veux rester libre y compris d’adopter une position nuancée.
Je veux pouvoir me méfier de mes propres exaltations, de mes propres colères, de mes propres refus de l’injustice non pas par excès de prudence, mais par souci de justesse, de justice, de respect de moi-même et d’autrui.
Je ne veux pas me laisser embarquer, perdre mon énergie et subir la dictature du stress mais plutôt mieux cibler vers quoi orienter mes actes. Non pas subir ce qui me tomberait dessus, mais me rendre disponible pour apprendre et comprendre au-delà des crises et des accidents, quelles peuvent en être les causes et surtout ne jamais oublier les personnes.