Un détour à Oradour sur Glane

Publié le Catégorisé comme au jour le jour
la plaque à l'entrée d'Oradour

Dans mon périple, je n’avais pas prévu de passer à Oradour sur Glane. Sur la route, j’ai vu la pancarte. Je m’en serais voulu de l’ignorer. Je l’ai suivie. Il était très tôt, il faisait gris. Peu de monde encore. Je n’étais pas là par devoir mais pour tenter de ressentir, comprendre. Je me suis pris une claque, pleine face.

Un paragraphe dans mon livre d’Histoire

Au lycée, je pense que ça n’avait dû être qu’un paragraphe parmi d’autres. Je savais. Mais le cours ne s’était pas attardé. Une horreur parmi d’autres.
De la guerre, j’avais eu les témoignages vivants de mon grand-père et de l’un de ses amis. Leurs récits modestes m’avaient permis de comprendre la vie des soldats ordinaires. Mon grand-père avait été prisonnier de guerre.
J’avais lu quelques romans, entendu des récits… Aucune banalisation dans mon esprit. La Shoah, je l’ai toujours ressentie à l’intime, fortement et très jeune j’y ai puisé les arguments de mon antiracisme…
Les heures sombres en France, la Résistance, les combats, j’ai appris.
Oradour. J’en avais vu des images. Le lieu était surtout associé à des commémorations officielles. Le village en ruines, je l’avais vu au travers de l’écran de la télévision, comme une image éloignée. Les chiffres, le drame affreux. Mais de loin.
En m’y rendant, je pensais savoir. Je ne savais rien.

Un mémorial et sa scénographie

Le risque avec les lieux de mémoire, c’est qu’ils écrasent la vérité individuelle, que la patrie s’approprie le tragique oubliant les destins.
Quelque part, dans la crypte je crois, il est écrit que les victimes d’Oradour sur Glane sont mortes pour la France. Non, elles sont mortes pour rien et de la folie absolue des bourreaux. Elles ne devaient pas mourir. Si tant est que l’on ne doive jamais mourir des mains d’un autre homme.
Je ne me suis pas attardé dans l’exposition. Je suis resté longtemps à contempler le visage des victimes en écoutant la litanie terrible de leurs prénoms, de leurs noms et de leurs âges. Tant d’enfants. Toutes ces photos, ces bouilles où le caractère affleure. Ces regards fiers fixant droit l’objectif. Ce grand-père qui ne devait pas être commode. Ce loulou de 12 ans, les cheveux gominés spécialement en costume du dimanche pour la photo. Cette femme au regard un peu fatigué. Ces visages de français « ordinaires » dans un village ordinaire. Ils auraient pu être de ma famille, ou l’un d’entre nous, ou moi.
La crypte est sinistre a souhait. C’est son rôle. Je lui préfère le cimetière qui restitue les morts avec leurs familles, dans l’histoire du village et de leur famille.
L’espace est pensé de façon à contenir la dignité. De ce point de vue, le voyeurisme malsain est évité tout en nous permettant d’entrer dans l’intimité de ce village avec une familiarité qui fait qu’il est assez aisé d’imaginer la vie autrefois dans ce lieu…

Le village terrible

un arbre à l'entrée du village d'Oradour sur Glane

Après les visages, le village s’empare de vous. Dévasté comme le sont les lieux ravagés par la guerre. Il vous prend par les tripes, sans ménagement, les murs saccagés parlent. Pas besoin de discours. Ce ne sont pas des images. Pas une reconstitution à l’esthétique léchée. Le réel.

On sait que le village est entretenu pour ne pas céder à la nature. Murs effondrés, voitures calcinées, objets épars. Plus encore, le nom des rues, les plaques rappelant que se situait là l’école des filles, ailleurs une couturière, un dentiste, un café et ces rappels : ici on trouva le corps d’une femme, plus loin un groupe d’hommes fut abattu et brûlé…
Ce qui bouleverse, c’est qu’il ne s’agit pas d’un lieu bombardé de l’extérieur, de victimes accidentelles. Mais d’un crime de guerre systématique. Ils sont allés les chercher. Et celles et ceux qui ne pouvaient marcher, les impotents, on est allé les tuer chez eux si besoin.

Forcément on voit les scènes.
Les femmes et les enfants rassemblés dans l’église… Les hommes réunis dans des lieux clos. Les impotents tués chez eux. Les armes puis le feu alors que nombre de victimes n’étaient que blessées et furent donc brûlées vives.
C’est tellement facile de l’écrire. J’ai entendu leurs cris. Je les voyais brûler devant moi sans pouvoir agir. Leurs cris résonnaient encore contre les murs de la nef ouverte sur le ciel.
J’avais en tête le visage de ce petit garçon vu en photo à l’entrée du village, mis à mort et sa maison dévastée.
Comment ne pas les aimer toutes et tous ces victimes qui nous ressemblent tant ? Ces bonnes têtes des années quarante, ces femmes pétries de bon sens, ces vieillards à l’air bonhomme, ces enfants bien peignés pour la photo, leur regard droit et fier face à l’objectif : ils voulaient vivre, mordre la vie, prendre leur place dans la vie… pas finir figés sur une plaque.
Au cimetière, derrière la vitre de sarcophages offerts au regard des visiteurs, il y a cet ossuaire où se mêlent leurs corps.
Glaçant.

La jeune fille au crop-top

Une jeune fille, en crop-top, nombril estival offert aux regards, photographiait appliquée.
C’est interdit sauf pour un usage privé et je n’en aurais pas eu la force. Je me dis que pourtant elle était là, au bord de l’indécence, naïve, belle comme la vie, vivante et peut-être futile mais après tout présente… espérons juste qu’elle n’en fasse pas un clip pour les réseaux.
Des familles passaient : adolescents sidérés, enfants incrédules, visages crispés d’anciens. Je les voyais comme la réplique de leurs ancêtres brûlés. Des gens, des qui ne feraient pas de mal à une mouche. Touchés.

Les héritiers des salauds

Trucider est un art dans lequel l’humanité n’a jamais cessé d’exceller. Beaucoup a été écrit sur cette folie barbare qui peut s’emparer d’un groupe d’hommes et le transformer en monstres.
La vengeance, la colère, l’effet d’entraînement, la lâcheté, l’incapacité de désobéir… On ne peut seulement se placer du côté des victimes. Peut-être bien que nous aurions obéi nous aussi, comme les autres…
Dans l’église défaite où reste debout le confessionnal, j’aurais tenté le dialogue avec Dieu si je croyais en lui. Et quelle force il doit falloir pour croire en Dieu après tout ça… ou peut-être que cela renforce la croyance, cette nécessité absolue d’amour et paradoxalement de pardon et de réconciliation…
Donner un visage aux victimes c’est cela qui compte.
Les salauds… certains furent jugés. D’aucuns affirmèrent n’avoir fait qu’obéir. Il y avait parmi eux des « Malgré nous ». Il y eut des protestations quand les sentences tombèrent. Encore des morts, des travaux forcés…
Je n’ose imaginer comment on peut vivre après ça. Je n’ose imaginer comment faire si son père a été impliqué…
Et il faut accepter que c’est difficile, complexe…

Transformé

Oui. Transformé par cette rencontre et les mots sont en dessous. C’est à l’intime. Mais je n’ai pas besoin de photos pour avoir en tête l’image et l’ambiance du village…
Oui convaincu plus encore qu’il faut lutter contre le nationalisme, les racismes et cette violence morbide, tout ce qui fonde le fascisme dans ce refus de reconnaître l’autre, dans sa différence, sa singularité et dans son humanité. Non pas dans une incantation crédule ou Tartuffe mais en pensant au présent. Non pas en vision propriétaire d’une patrie, mais oui en encore une fois en humanisme assez résolu pour désarmer toute velléité de violence, de suprématie… Toujours préférer les imperfections de la démocratie aux dictatures en tout genre…
Il faut savoir se positionner du côté des valeurs, dire et être, c’est-à-dire veiller, être attentif, accueillir, aimer… Dire à voix claire et haute quand ce n’est pas tolérable. Réveiller les indolents, les conciliants, ceux qui lèveraient les barrières, oublieraient le passé, trouveraient des excuses comme si cela ne risquait plus jamais d’arriver chez nous…
Sans grandiloquence, sans rancœur, sans honte, agir et d’abord pour soi. Veiller. Ne jamais passer dans le camp des salauds, leur céder du terrain… Tout faire aussi pour que par dépit ou mus par la tentation du pire d’autres ne se laissent pas entraîner à laisser faire les bourreaux de demain ou le devenir…
Aucune naïveté à oser l’écrire : être dans cette éthique, dans cette vigilance, dans cette exigence… Cela suppose de ne pas être seulement dans l’affirmation de principes mais oser par une rationalité en actes agir concrètement pour que d’aucuns ne se trouvent pas des excuses à passer dans le camp des salauds…
C’est un rappel à nos valeurs, à l’affirmation de ces valeurs qui font que l’on ne saurait malgré le paradoxe apparent tolérer l’intolérance, encore moins accepter la loi du talion, les crimes de guerre… et il s’en commet. Et ce n’est pas que cinéma que désigner les coupables, refuser de leur laisser la voie libre.
L’humanisme n’est pas un bon sentiment mièvre, il est là pour nous rappeler, nous alerter et savoir prendre le parti de la bienveillance contre celui de la haine.

Poème de Jean Tardieu


Oradour n’a plus de femmes
Oradour n’a plus un homme
Oradour n’a plus de feuilles
Oradour n’a plus de pierres
Oradour n’a plus d’église
Oradour n’a plus d’enfants
Plus de fumée plus de rires
Plus de toits plus de greniers
Plus de meules plus d’amour
Plus de vin plus de chansons.
Oradour, j’ai peur d’entendre
Oradour, je n’ose pas
Approcher de tes blessures
De ton sang de tes ruines,
je ne peux je ne peux pas
Voir ni entendre ton nom.
Oradour je crie et hurle
Chaque fois qu’un cœur éclate
Sous les coups des assassins
Une tête épouvantée
Deux yeux larges deux yeux rouges
Deux yeux graves deux yeux grands
Comme la nuit la folie
Deux yeux de petits enfants :
Ils ne me quitteront pas.
Oradour je n’ose plus
Lire ou prononcer ton nom.
Oradour honte des hommes
Oradour honte éternelle
Nos cœurs ne s’apaiseront
Que par la pire vengeance
Haine et honte pour toujours.
Oradour n’a plus de forme
Oradour, femmes ni hommes
Oradour n’a plus d’enfants
Oradour n’a plus de feuilles
Oradour n’a plus d’église
Plus de fumées plus de filles
Plus de soirs ni de matins
Plus de pleurs ni de chansons.
Oradour n’est plus qu’un cri
Et c’est bien la pire offense
Au village qui vivait
Et c’est bien la pire honte
Que de n’être plus qu’un cri,
Nom de la haine des hommes
Nom de la honte des hommes
Le nom de notre vengeance
Qu’à travers toutes nos terres
On écoute en frissonnant,
Une bouche sans personne,
Qui hurle pour tous les temps.

Par Vincent Breton

J'ai passé plus de quarante ans à exercer plusieurs métiers au sein de l'Éducation nationale. Toujours mû par la curiosité, j'aime apprendre, écrire, partager.

2 commentaires

  1. Le souffle coupé
    La honte de ne pas savoir de ce crime.
    Merci de nous rappeler à l ordre.

  2. Des « malgré nous ? »
    C’est ce qu’on a dit pour mettre fin aux procès qui ont jugé très peu de monde.
    La SS Das Reich qui a brûlé les habitants d’Oradour était composée en grande partie d’Alsaciens. Des Limougeauds se souviennent de leur traversée de Limoges en camions après leur passage à Oradour. Ils semblaient ivres et interpellaient les passants en français.
    La question que je me pose : pouvait-on être dans la SS et être un « malgré nous » ?
    Doit-on refuser que quelques Alsaciens aient pu être hitleriens ?
    Avant ceux ci de très nombreux Alsaciens avaient fui l’armée hitlerienne et s’étaient réfugiés en Limousin au début de la guerre. Il y en a qui y ont fait souche et le sang des Limousins s’est enrichi d’autres origines…

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